Même si nous n’avons pas eu la chance de la connaître personnellement, nous avons toutefois eu un premier contact avec l’ œuvre de l’architecte Ioana Grigorescu dès nos années d’étude, il y a quatre décennies depuis, en juillet 1972, à l’occasion d’un voyage d’études à la fin de la IVe année à la faculté d’Architecture. Le point culminant a été la visite des monastères alors récemment restaurés dans le Nord de la Moldavie ; nous avons gardé dans notre mémoire ceux de Voroneț, de Sucevița et en premier lieu celui de Dragomirna. Les projets de restauration de ces trois monastères étaient l’œuvre de l’architecte Ioana Grigorescu, dont les grandes virtuosités professionnelles nous ont été alors mises en évidence, juste à un moment où, quelques mois auparavant, celle-ci avait été contrainte de cesser pratiquement sa carrière. Mais nous avons appris ceci récemment, quand nous avons eu accès à ses archives, confiées à présent à l’UAR.
Récemment aussi, en allant revoir ses principales œuvres dans le territoire et en étudiant en partie seulement ses vastes archives entrées dans le patrimoine de l’UAR, où aux nombreuses planches et aux dessins viennent s’ajouter ses livres et plusieurs des objets qui l’avaient entourée, la totalité de son œuvre nous a permis de découvrir, peu à peu, son univers complexe, d’une grande richesse intellectuelle.
En étudiant ses dessins, surtout ses autoportraits, on découvre l’homme, d’une beauté robuste, à personnalité certes tenace et ambitieuse, mais aussi bien passionnelle ou rêveuse et tendre. Tout comme celui qui consigne son vécu quotidien dans un journal écrit, Ioana Grigorescu s’est confiée d’une manière subtile dans ses nombreux autoportraits, dont les archives de l’UAR en possèdent 98 (les portefeuilles 21 a-f). Les dessins où elle se représente elle-même sont faits à partir de 1938, quand elle était âgée de 23 ans, mais la plupart à sa maturité, en réussissant à rédiger graphiquement un journal intime, dans lequel elle n’a pas seulement extériorisé ce qu’elle a vécu, mais elle a aussi essayé à faire son autoanalyse, en se soumettant quelquefois à un jugement impitoyable. De cette manière elle a dévoilé tant ses angoisses, que ses états de satisfaction ou ses joies des moments de détente, séquences d’une vie qui ne lui a pas offert seulement des accomplissements, mais bien le contraire.
Née à Bucarest, le 4 mars 1915, Ioana Sabina Grigorescu, de son nom complet, a achevé en 1941 ses études à la Faculté d’Architecture de Bucarest. En 1947, elle a obtenu son diplôme d’architecte avec le qualificatif Magna cum lauda e, décerné pour un projet ayant comme thème une école d’architecture et d’urbanisme, conçu dans un registre moderne, d’avant-garde à l’époque.
En regardant quelques images seulement de la maquette de son projet de diplôme, il faut mentionner qu’au moment où elle le présentait, les formes modernes-constructivistes qu’elle proposait constituaient déjà une expression de courage ou même d’inconscience. Il ne faut pas oublier qu’ en moins d’un an, en 1948, la tempête du réalisme socialiste allait s’abattre impitoyablement sur l’architecture roumaine, y compris sur l’enseignement d’architecture. Des signes précurseurs de cette nouvelle orientation s’étaient montrés d’ans les années précédentes. Le slogan démagogique lancé dès 1945 par l’écrivain Mihail Sadoveanu, statuant que ”la lumière vient de l’Est” allait se matérialiser en une sombre réalité pour la société et la culture roumaines. Le réalisme socialiste d’origine staliniste allait geler toute manifestation d’orientation moderne, cataloguée par les ”culturnics” de l’architecture comme ”formaliste, décadente et cosmopolite, expression de la société bourgeoise et de l’impérialisme”. En ces conditions, les perspectives étaient sans grandes espérances, y compris dans l’architecture et, par conséquent, une implication dans un domaine moins affecté politiquement, tel la recherche et la restauration des monuments historiques pouvait être envisagée comme un possible refuge. Au moins pour une période, surtout après 1955, des architectes au dossier ”malsain” à cause de leur origine sociale ont pu professer en ce domaine. C’est le cas, en premier lieu, de l’architecte G. M. Cantacuzino (accepté pour une brève période au Comité d’ É tat de la Culture et de l’Art en tant que spécialiste en monuments historiques du Nord de la Moldavie), ainsi que le cas des architectes Ștefan Balș, Paul Emil Miclescu, Virgil Antonescu ou de l’historien Radu Greceanu etc. De même, pendant les années ’60, considérés avoir été une période de relative détente culturelle, la restauration des monuments s’est avéré e comme un domaine où le talent visionnaire de Ioana Grigorescu a pu s’épanouir pleinement.
Au début de son activité, entre 1942-1943 et 1945-1946, Ioana Grigorescu a professé en tant qu’architecte à la Radiodiffusion, puis au Ministère des Informations (1947-1950), ensuite au nouvellement fondé Institut pour Projets de Constructions–IPC (1950-1951), en devenant aussi assistante à la Faculté d’Architecture entre 1949 et 1952 (auprès de l’architecte Gheorghe-”Pichi” Petrașcu d’abord, auprès de l’architecte Duiliu Marcu ensuite).
Le 15 juillet 1955, elle est devenue membre de l’Union des Architectes, après avoir été aussi reçue dans l’Union des Artistes Plastiques, en reconnaissance de s a présence active dans le domaine de l’art graphique, concrétisée par de nombreuses expositions en Roumanie et à l’étranger, soit en les organisant elle-même, soit en y participant.
Au milieu des années ’50 du siècle passé, elle travaill e au Comité d’ É tat de l’Architecture et des Constructions (CSAC), où commence son implication dans le domaine de la restauration des monuments historiques, activité continuée à partir de 1959 à la Direction des Monuments Historiques (DMI). A la DMI elle fait, selon sa propre expression, une année environ d’”apprentissage” dans l’équipe de l’architecte Ștefan Balș, en élaborant des détails pour les restaurations des monastères de Moldovița, Slatina et Hurezu. A partir de 1960, elle devient responsable de la direction de plusieurs projets de restauration et, dans un intervalle assez court, en un peu plus de 12 ans, l’architecte Ioana Grigorescu s’affirme par de nombreuses réalisations d’une grande audace, en réussissant à inscrire avec des majuscules son nom dans l’histoire de l’architecture roumaine, au chapitre de la protection et conservation des monuments historiques.
Une partie de son activité professionnelle, mais aussi de sa vie privée, a été marquée par son étroite relation avec l’architecte Nicolae Diaconu (1915-1997), qui se reflète dans les nombreux portraits qu’elle lui a fait, surtout entre 1944-1960 (dans les archives de l’UAR figurent environ 167 tels dessins, les portefeuilles 20 b - 20 i). Entre 1953-1955, ils ont élaboré ensemble les projets de restauration du complexe des cellules au monastère de Dealu-Târgoviște puis, à DMI, ceux pour de nombreux monastères du Nord de la Moldavie. Entre été1959-1963, ils ont travaillé en équipe à la recherche et aux projets de restauration de l’église, du chemin de garde, du balcon des cellules et de la partie administrative pour le monastère de Sucevița, ainsi qu’aux premières phases des projets de restauration pour les monastères de Humor, Voroneț, Dragomirna et Galata (à Iași) puis, entre 1965-1966, ils ont collaboré aux recherches entreprises au monastère de Secu.
Le courage avec lequel elle a inséré des formes et des matériaux nouveaux, en premier lieu le béton armé apparent, dans un cadre architectural traditionnel, bien défini du point de vue historique et stylistique, solution aujourd’hui unanimement appréciée, a donné lieu à l’époque à de nombreuses et ardentes discussions professionnelles, qui avaient se répercuter injustement sur Ioana Grigorescu, même sur le plan personnel. Maintes fois les appréciations concernant ses travaux étaient réservées, même négatives. On la critiquait non seulement dans le s coins, mais bien en public, de manière directe ou allusive, comme dans le cas de quelques articles parus dans des revues culturelles de large circulation, telles que Contemporanul et Amfiteatru. La fermeté avec laquelle elle a soutenu et matérialisé ses principes de restauration et, certes, sa ténacité et son refus de faire des compromis professionnels expliquent le brisement prématuré de sa carrière ainsi que sa graduelle isolation professionnelle survenue vers la fin de sa vie.
Ainsi, le premier avril 1972, lorsqu’elle était âgée de 57 ans et en pleine force créatrice, sa prestigieuse activité de restaurateur a été brutalement interrompue par sa mise à la retraite, ce qui a fait que toute sa capacité et son expérience professionnelle hors du commun, sur le fond d’une vision originale de la mise en valeur des monuments d’architecture, ont été dès lors empêchées de se manifester. En consultant plusieurs mémoires qui se trouvent en copie dans les archives de l’UAR, envoyés par Ioana Grigorescu à des personnalités de grande influence politique à l’époque (Dumitru Popescu, président du CCES, Miu Dobrescu, premier-secrétaire du Comité départemental de Suceava du Parti Communiste Roumain, George Macovescu, ministre des affaires étrangères et président de l’Union des Ecrivains), il résulte que la décision de sa mise à la retraite était due en premier lieu aux animosités irréconciliables avec l’historien d’art Vasile Drăguț, directeur de la DMI dans les années ’ 70, ainsi qu’avec quelques-uns des chercheurs de la DMI, historiens ou archéologues de formation. En ce qui concerne ces derniers, Ioana Grigorescu considérait que leur formation de restaurateurs était discutable. Pour éliminer Ioana Grigorescu du système , on a profité d’une législation obtuse existante à l’époque, qui stipulait les âges de mise à la retraite à 57 ans pour les femmes et à 62 ans pour les hommes, mais qui était souvent éludée, en faisant appel à des dérogations ; c’est le cas d’autres spécialistes réputés , travaillant y compris à la DMI (les architectes Ștefan Balș et Paul Emil Miclescu, âgés de 70 ans ou Virgil Antonescu, âgé de 63 ans, etc.). On trouvait à l’époque cette même situation en d’autres domaines, surtout dans ceux ayant un prononcé caractère intellectuel. La mauvaise foi quant à la mesure prise à l’égard de Ioana Grigorescu est aussi prouvée par le fait que les recherches et solutions élaborées par elle avant sa mise à la retraite ont été ignorées. Ses projets pour les monastères de Secu (complètement de la restauration au niveau de l’ensemble, y compris de l’église), de Putna (documentation concernant la restauration de l’entier ensemble), et de Slatina (la maison du Voïvode Alexandru Lăpușneanu) ont été abandonnés et l’élaboration de nouveaux projets a été reprise pratiquement à zéro, par d’autres architectes, sur la base de thèmes nouveaux (élaborés par les architectes Eugenia Greceanu et Virgil Polizu pour le monastère de Slatina et par les architectes Eugenia Greceanu et N. Pușcașu pour le monastère de Putna). Dans un matériel non signé et non daté, trouvé toujours dans les archives de l’UAR, l’interruption des travaux de restauration exécutés au monastère de Secu d’après les projets de Ioana Grigorescu était impérieusement réclamée. La conclusion du matériel était : ”cette fausse interprétation hors d’échelle, torturée et japonisante [sic !!!] doit être rejetée. Elle ne s’inscrit ni dans l’ambiance, ni dans l’histoire […]. Il faut conclure ici une expérience basée sur des théories abstraites et étrangères et avec ceci il faut marquer l’entrée dans l’ordre roumain et socialiste, c’est à dire du respect du passé et de l’homme.” En ce contexte, toutes les tentatives de Ioana Grigorescu, dans les années suivant sa mise à la retraite, de rétablir la vérité et de revenir dans l’activité de restauration des monuments sont restées sans résultat.
Malheureusement, l’évolution des évènements a été beaucoup plus dramatique que la situation particulière de Ioana Grigorescu. Après le tremblement de terre de 1977, comme suite, probablement, aux protestations de la même DMI contre la destruction injustifiée de l’Eglise Enei de Bucarest, la DMI a été supprimée en novembre/décembre 1977.
Toutefois, malgré tous les troubles internes, les coteries et les petits cancans, inévitables peut-être et explicables dans un collectif formé de personnalités très fortes, il faut rappeler de manière tranchante et sans équivoque que l’équipe de spécialistes de la DMI, œuvrant entre 1958 et 1977 a réussi à réaliser, en à peu près une vingtaine d’années, les plus significatifs travaux de conservation, restauration et mise en valeur des monuments d’architecture de notre pays. Il ne faut pas considérer exagérée s les paroles de l’architecte Eugenia Greceanu, qui affirmait que ladite période a vait été ”l’époque d’or des restaurations en Roumanie”, marquée par l’activité de professionnels d’exception. Parmi les plus remarquables s’inscrit aussi Ioana Grigorescu (cette dernière appréciation appartient à l’auteur du présent texte, mais aussi bien à d’autres historiens de l’architecture et nullement à Eugenia Greceanu, dont les théories concernant la restauration des monuments étaient diamétralement opposées à celles conséquemment professées par Ioana Grigorescu).
Il est aussi très important de mentionner qu’en général la Direction des Monuments Historiques était perçue à l’époque comme un obstacle aux intentions excessives de restructuration urbaine, surtout lorsque cela impliquait la démolition de monuments ou de sites de valeur historique. En 1977, après la suppression de la DMI, la meilleure équipe de restaurateurs ayant jamais œuvré en Roumanie (comprenant des architectes, des historiens d’art et des centaines d’artisans spécialisés en la matière) a été dispersée aux quatre vents. La coordination et la direction unitaire de l’activité de conservation et de restauration du patrimoine architectural ont été pratiquement stoppées jusqu’en 1990. De cette manière, un vide organisationnel a été créé, facilitant le déchaînement de l’ouragan des démolitions, abattu sur Bucarest au cours des années ’80 du vingtième siècle.
En ce qui concerne Ioana Grigorescu, une réparation tardive lui a été faite en l’an 2000, quand une ample exposition rétrospective de son œuvre, illustrant la diversité de ses activités, a été organisée par l’Union des Architectes, l’Ordre des architectes, l’Université d’Architecture et Urbanisme Ion Mincu et par l’UNRMI ( L’Union Nationale des Restaurateurs des Monuments Historiques).
Après une vieillesse triste, marquée par la solitude, l’architecte Ioana Grigorescu s’est éteinte en 206, étant enterrée au monastère de Dragomirna, dont la restauration et réfection sont censées être la plus importante de ses réalisations.
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En ce qui concerne son œuvre, le nom de l’architecte Ioana Grigorescu est lié en premier lieu aux monuments suivants, sauvés et restaurés par elle en Bukovine (département de Suceava):
Dans le département de Neamț, des travaux de restauration ont exécutés d’après les projets de Ioana Grigorescu aux monuments suivants :
A Iași, l’architecte Ioana Grigorescu s’est occupée des restaurations au monastère de Galata (1960-1963, en collaboration avec l’architecte Nicolae Diaconu, qui ultérieurement a continué les travaux), ainsi que des restaurations de la Maison Dosoftei (1964-1967).
Hormis quelques articles parus dans des publications de spécialité des années ’60 et de la première moitié des années ’70 (Revista monumentelor istorice et Arhitectura), une étude inédite sur les ponts-levis de quelques monastères du Nord de la Moldavie (à Dragomirna, Secu, Putna, Humor), écrite en 1972 et pas éditée à l’époque, attend d’être publiée.
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Architecte de formation profondément moderne, constamment manifestée dans tous les programmes abordés, l’architecte Ioana Grigorescu a réussi, dans la restauration des monuments historiques, à joindre avec talent, mais aussi avec beaucoup de courage, des complètements ou/et des ajouts traités dans un registre conséquemment moderne aux éléments constructifs originaires.
En totale opposition avec les restaurations et reconstructions ”dans le style” des monuments ou d’une partie de ceux-ci, réalisées en premier lieu sur la base de documents et/ou de dessins d’archives, ou par analogie avec des travaux similaires, comme il a été dans les cas, souvent invoqués par Ioana Grigorescu, du monastère de Neamț (architecte Ștefan Balș) et de l’Auberge de Manuc de Bucarest (architecte Constantin Joja), elle a été l’adepte permanente de la conception de ”prendre soin” des monuments, en différenciant clairement, sans hésiter, les étapes de construction et d’intervention, mais poursuivant une harmonie parfaite entre les anciennes parties et les nouvelles, reconstruites ou ajoutées. En ce sens, elle a cherché à éviter, là où des données absolument sûres n’existaient pas, la reconstruction basée seulement sur des éléments analogues en se limitant, en une première phase, à dégager le monument de tous les éléments certes parasitaires, ayant la ferme conviction que ”…celui qui n’a pas connu ces monuments avant d’être restaurés ne peut pas s’imaginer à quel point son architecture originaire a été dénaturée au long des siècles, par des ajouts strictement utilitaires. La simple démolition de ces ajouts a été le premier pas nous rapprochant de l’aspect originaire”.
Elle a appliqué cette approche de manière sélective, ce qui fait que le retour aux formes originaires des toits aux monastères de Voroneț ou de Sucevița a été réalisé sur la base des données offertes par l’analyse tes tableaux votifs où ceux-ci étaient représentés, corroborées avec les traces trouvées in situ aux bases des tours, après les avoir dégagées. Antérieurement, cette solution avait été appliquée par d’autres restaurateurs aussi.
Toutefois, un autre type d’opérations, contesté avec véhémence par plusieurs de ses collègues, a été la modalité de reconstruire des parties ou des éléments de la construction, telles que voutes, arcs etc., dont quelques restes non significatifs existaient encore ou, tout simplement, n’existaient plus. Dans ces cas, elle a maintenu tout ce qui provenait de la construction originaire en complétant le reste avec des éléments réalisés en matériaux modernes (de règle en béton armé apparent), en formes habilement stylisées, en marquant d’une manière tranchante les époques de réalisation, évitant ainsi les solutions de type pastiche. Par cette approche, Ioana Grigorescu considérait que ”... le visiteur devient [...] un spectateur actif de la restauration, [et] qui permet ainsi à saisir la forme originaire des monuments, en offrant en même temps au spécialiste la possibilité de se rendre compte de l’état du bâtiment au début des travaux et de se former une opinion critique sur la valeur de la restauration”.
Au sens de la même conception, au niveau du détail, elle a fait appel, pratiquement sans exception, à des formes nouvelles, sculpturales, en général des interprétations raffinées partant de sources d’inspiration ethno-folkloriques. Cette tendance, effectivement programmatique, devient évidente surtout dans le cas de pièces d’architecture mineure, telles que fontaines, tonnelles, portails, portes, poignées de porte, y compris poteaux et poutres de certaines galeries extérieures et terrasses en saillie (couvertes), colonnes, marches etc., parties de constructions plus grandes ou plus petites, ainsi que des objets de mobilier (bancs, tabourets etc.), dont on ne gardait aucune information quant à leur forme originaire. Celles-ci sont en général réalisées en bois, quelques fois aussi en béton armé apparent ou en combinant d’une manière surprenante ces deux matériaux en formes pleines de fantaisie, rimant parfaitement aux éléments anciens, en général en pierre, des étapes originaires du monument restauré, existant encore au moment de l’intervention.
En dressant une liste, inévitablement lacunaire, de ses brillantes solutions, on peut y mentionner les terrasses en saillie (couvertes), l’escalier intérieur et la salle située à l’étage du musée, ou les escaliers extérieurs et les galeries (chemins de ronde) au monastère de Sucevița, puis les terrasses en saillie (couvertes) extérieures, les petites voutes à surfaces réglées et le portail d’accès au naos de l’oratoire du monastère de Dragomirna.
De même, la modernité de ses conceptions est prouvée sans équivoque par la solution appliquée aux deux corps de cellules, toujours à Dragomirna, adossées au mur d’enceinte et englobant le chemin de ronde. De cette manière, elle a obtenu un aspect spectaculaire, en créant des espaces d’un extraordinaire dynamisme. Cette caractéristique est illustrée au superlatif par le hall du coin de Nord-Ouest, à plusieurs niveaux, qui forme une élégante articulation entre les deux corps de cellules, qui ont remplacé des bâtiments de type caserne, édifiés au XIXe siècle. La facture moderne des interventions est aussi évidente dans la disposition des ouvertures dans les murs ainsi que dans le dessin de l’ensemble et des détails des façades des mêmes constructions à Dragomirna. Et la liste pourrait continuer avec beaucoup d’autres exemples.
Cette modalité d’aborder les restaurations/reconstructions des monuments historiques est, certes, très risquée. Une intégration harmonieuse d’éléments nouveaux de facture moderne-contemporaine n’est pas à la portée de tout restaurateur. Modelés d’une manière personnelle et placés dans un cadre traditionnel, bien défini historiquement, ces nouveaux éléments doivent cohabiter avec les parties anciennes, originaires, d’un style différent, dans un ensemble équilibré du point de vue plastique-architectural.
Tant à son époque, qu’aujourd’hui, la voie indiquée par les travaux de Ioana Grigorescu est extrêmement personnelle et très difficile à suivre. Au premier abord, les solutions de restauration ou de reconstitution ”dans le style” paraissent plus simples et plus faciles à comprendre. Elles sont réalisées en général par analogie avec des situations semblables ou par des inventions livresques-romantiques, avec un résultat trompeur quant à l’authenticité de l’ouvrage. Un cas bien connu est celui de la soi-disant ”maison du voïvode” de Putna qui, en fait, a englobé quelques fondations anciennes dans une construction nouvelle, bien réalisée d’ailleurs dans les années 1970-1985 (architectes Ștefan Balș et Virgil Antonescu), dans une sorte de style moldave. En mimant une supposée architecture du temps d’Etienne le Grand (Ștefan cel Mare), la construction offre une image déroutante, qui ne permet pas de distinguer l’évolution au long du temps du monument, dont la valeur est tout au plus commerciale-touristique.
Au final, il faut rappeler que les remarquables qualités d’architecte de Ioana Grigorescu ont été harmonieusement complétées avec celles de plasticienne. Ses ouvrages, en cours d’être étudiés, en majorité graphiques, sont réalisés en techniques diverses – crayon, encre de Chine, gouache, pastel – et font preuve d’une grande expressivité et spontanéité. A ceux-ci viennent s’ajouter des ouvrages d’art décoratif, de la scénographie cinématographique (Esquisses d’après I. L. Caragiale, dans la régie de Jean Georgesco), costumes pour des spectacles de théâtre (Hommes d’aujourd’hui de Lucia Demetrius au Théâtre Municipal-L. S. Bulandra), petites pièces de sculpture etc. Les esquisses qui précédaient ses projets d’architecture et de restauration sont aussi des véritables œuvres d’art.
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Le fonds documentaire de l’architecte Ioana Grigorescu se trouvant dans le patrimoine de l’OAR est en cours d’être étudié. Il comprend en outre des esquisses et des parties de projet pour des travaux de restauration, études pour des concours d’architecture, croquis et études de terrain sur des maisons traditionnelles de diverses zones du pays, deux albums à photos ainsi que des photographies d’architecture disparates, mais aussi des photos personnelles, quelques objets, quelques pièces de petit mobilier. Un document de grand intérêt est une copie dactylographiée de son étude inédite sur les ponts levis de quelques monastères du Nord de la Moldavie, écrite avant 1972, accompagnée d’un ample matériel illustratif et qui attend encore d’être publiée.
Bibliographie : Ioana Grigorescu ”Est-ce que nous nous demandons ?” et ”Points de vue en marge de la restauration de Sucevița” dans la revue Arhitectura ns. 3 et 4/1973 ; Paul Constantin, Dicționarul universal al arhitecților, Editura Științifică și Enciclopedică, București, 1986 ; In memoriam – doamna arhitect Ioana Grigorescu, A&B, bulletin informatif de la filiale București de l’Ordre des Architectes de Roumanie, nᴼ 7/2006 ; les archives de l’UAR, le Fonds arch. Ioana Grigorescu – sa fiche d’inscription à l’Union des Architectes, de 1955 et son autobiographie de 1972, avec la liste de ses ouvrages en annexe ; les archives du monastère de Dragomirna (par les soins de la mère-secrétaire du couvent, Maria Magdalena).
La reproduction des dessins de l’architecte Ioana Grigorescu a été réalisée d’après les originaux existent dans les archives des projets de l’UAR.